Née en 1990 à Montigny-les-Arsures tout près d’Arbois, la confrérie du dzi voue un véritable culte à un petit robinet bien particulier : le d’zi ou dzi. La confrérie est restée très active lors des fêtes du Trousseau (cépage jurassien) pendant une dizaine d’années.
En Arbois ce petit robinet ne serait-il pas aussi célèbre que le Manneken Pis à Bruxelles ? Le dzi est un petit robinet de cinq à huit centimètres de long qui est enfoncé sur un tonneau aux deux tiers de sa hauteur environ. Il est utile pour soutirer le vin afin d’en voir son évolution. Il est apprécié particulièrement sur les tonneaux de vin jaune où le vin est élevé sous voile. En effet, ce voile de levures doit rester intact au dessus du vin, et un soutirage avec une pipette au dessus du tonneau détruirait ce voile indispensable à la vinification du vin jaune.
Le dzi n’est pas un robinet à proprement parler, il est obstrué horizontalement par une petite cheville que l’on peut bloquer ou débloquer à la demande. Cette cheville est parfois protégée par un capuchon vissé et le dzi est dit alors « à recouvrement ». Les dzis sont le plus souvent en buis, mais il en existe en corne qui sont paraît-il plus appréciés que ceux en bois par les viticulteurs.
L’usage du dzi était très répandu tant dans le Jura que dans d ‘autres régions de France (Berry et Sud-ouest en particulier) où sa dénomination était parfois un peu différente. La fin de la vente du vin en tonneaux, et l’arrivée en masse de la bouteille a mis à mal la commercialisation des robinets en bois, tout comme l’évolution des procédés de vinification ont relégué l’usage du dzi à une pratique anecdotique, voire pittoresque. Notre histoire pourrait s’arrêter là, si à Château Chalon, on n’utilisait pas le même robinet qui lui s’appelle la guillette, et que dire du fausset que l’on trouve dans les anciens catalogues d’articles de cave des tourneries locales ? L’étymologie nous aide à y voir un peu plus clair. Guillette semble venir du patois vaudois -la Suisse est voisine-, guillet ou guillon qui signifie sommet pointu d’un arbre. En effet par similitude cette petite cheville en bois se termine bien en cône pointu. Quant à fausset, l’étymologie est mal connue, certains auteurs y voient le nom du trou du tonneau et d’autres au XVIIIème siècle, font remarquer que ce nom proviendrait de « faux » robinet, par opposition au « vrai » robinet en bas du tonneau. En anglais le mot robinet se dit faucet et fasshahn en allemand, où l’on retrouve la racine de notre fausset français.
Pour le dzi, l’histoire est un peu plus riche et intéressante ! En patois arboisien le dzi s’écrit aussi d’zi, l’apostrophe a remplacée la lettre u du français duzil ou douzil. Encore différemment dans les catalogues des tourneries du Jura, on trouve écrit delzils. Les duzils étaient fabriqués essentiellement en Petite Montagne, canton d’Arinthod où certaines tourneries s’étaient faites une spécialité dans les articles de cave (brevet déposé pour les robinets Fleury, Mathon .. etc). Le tarif N°127 -circa 1930- de l’usine Berthelon, de Vogna, prèsd’Arinthod, mentionne des delzils simples et à recouvrement vendus par grosse (144 pièces) de 38 à 67 francs suivant la taille et le type ainsi que des faussets de dimensions assorties vendus l’hectolitre(?) 200 francs. Le catalogue illustré d’août 1931de l’usine de tournerie Grandmottet et Cordier de Moirans-en-Montagne propose à la vente des delzils en buis à recouvrement de 40 à 50 francs la grosse suivant la taille. Ce négociant propose aussi des lots de faussets coniques à 285 francs l’hectolitre, ses delzils et faussets proviennent certainement de la région d’Arinthod car le catalogue d’articles de cave mentionne très largement les robinets Mathon et Fleury. On voit au passage, la marge entre le fabricant et le négociant. La zone de prodution est semble-t-il bien attestée dans le sud du département du Jura.
Bien que les « Grands ateliers de Tournerie » de la cascade de Cesy soient situés sur la Cuisance en Arbois, nous n’avons aucune précision sur les productions d’Emile Boilley, l’industriel, vers 1905.
Les derniers dzis jurassiens en corne de buffle étaient fabriqués dans la région de Pont-de-Poitte et revendus par un artisan cornetier de Lavigny dans les années 1980/1990.
Le d’zi, ou douzil, dousil en français a une origine bien lointaine. Au XIXème et XVIIIème siècle dans les premiers dictionnaires étymologiques il s’écrit duzil et trouve une origine latine avec le mot duciculus. Le mot vient du bas-latin duciculus, diminutif de dux, «qui conduit, petit tuyau» ; le nom a en effet d’abord désigné le trou, puis a servi pour la petite cheville qui le bouche. Cette confusion depuis le VIème siècle perdurera dans de nombreux dialectes, tant et si bien, que le trou ou la cheville sont nommés par le même mot. On le trouve dans d’autres régions comme dans le Berry notamment sous différentes formes comme: dosilh, duizi, dui… où la Confrérie des Tire-Douzils existe encore à Marigny-Brizay (Vienne) et douzil, doisil ou dosilh en langue occitane ! Pour citer Robert Geuljans dans l’étymologie occitane, on arrive à la conclusion que le premier sens de dousil est « cheville » et que le sens « orifice » est secondaire par métonymie.
La langue française est émaillée de dictons ou expressions relatifs au douzil : « Rompez ou coupez le douzil, afin qu’on ne tire plus de vin par là », « il faudra tordre le douzil, et bouche close » (Gargantua). Ainsi chez Rabelais, le douzil est employé par analogie pour l’organe sexuel masculin.Et pour compléter le propos, dans un conte populaire transmis oralement « Moitié d’homme », il est cité aussi: « Que par ma petite guillette, la princesse soit enceinte! »
Alors, notre d’zi arboisien ne vaut-il pas le Manneken Pis de nos voisins belges ?
C’est super Christophe…. d’autant que j’en ai utilisé autrefois, mais sans connaître le nom…! Ah, le petit coup sec de maillet pour enfoncer la cheville et mettre en place le robinet sans perdre de vin…. ;-))
Bravo pour cet article complet Christophe !
Merci Monsieur Picod, bien sûr que je connais , nous en avons fabriqués et même des plus gros pour l’Alsace, dans le même style avec tirage à l’avant. C’est loin tout cela..hélas
Cordialement
Très intéressant article ! Merci de partager ainsi tes connaissances !
Rien, jamais, ne m’avait permis de rencontrer le tournage, ni sa longue histoire dans notre humanité. J’ignorais comment se faisait les perles, les quilles, les robinets, ni les d’zi, bien sûr. Seuls, quelques contes de Grimm m’avait un peu alertée, car à plusieurs reprises, les héros qui sont tourneurs sont les plus dégourdis, les plus habiles, mais aucune image dans mon esprit n’était associée à cette habileté.
Ça tourne quoi, un tourneur? C’est des tourneurs de quoi, ces gens là? Aucune idée.
Puis j’ai découvert l’art du tournage grâce à Christophe, ce grand passeur de mémoire, et j’ai vu notre intelligence humaine au travail, chez nos ancêtres si industrieux, qui avec une ficelle, un axe, une pédale, ont réussi à transformer du bois brut ou de l’os, en objet utile ou objet d’art.
C’est en quelque sorte pour moi un chemin qui s’ouvre, chemin de connaissance, humble, enraciné dans le savoir populaire, en tout cas dans nos régions franc-comtoises, et qui chaque fois, m’intéresse.