Des moulins tourneries à l’atelier familial

Tout a commencé au XIXème siècle. Mon arrière grand père Fabien PICOD quittait son moulin de Lavans-sur-Valouse, dans le Jura pour s’installer quelques kilomètres en amont à la tournerie CHARPILLON, du moulin d’Arinthod. Son épouse Marie, y tenait la cantine ouvrière et vendait de l’absinthe aux travailleurs.

Quelques années plus tôt son voisin Louis VUITTON était monté à Paris pour faire ses célèbres malles en cuir, et il eut le succès qu’on lui connaît …

La tournerie CHARPILLON, née de l’essaimage de la tournerie de la pipe du bassin de Saint-Claude, n’eut pas le même bonheur. Mon grand père Camille, d’abord chauffeur à la machine à vapeur de l’usinier, s’installa à son compte au moment de la crise de vingt neuf à Arinthod. Il le fit avec son frère Henri puis ses fils ensuite. La famille vécut de la tournerie jusqu’à la fin du XXème siècle… Histoire de la tournerie que j’ai poursuivie en la racontant dans un livre publié en 1991.

Claude Huyghens et Françoise Danrigal, photographes et illustrateurs de mon livre en 1979 quand j’ai commencé à travailler avec eux.

Août 2018

Claude Huyghens …
Nous étions amis depuis 1979. J’aimais son œil critique, toujours juste. C’était une personne rare, riche d’humanité, qui nous a quitté.

Petite saga familiale avec quelques images…

Il était une fois…, à la fin du XIX ème siècle, dans les usines de la tournerie Charpillon au moulin d’Arinthod (Jura), le long de la Valouse…. les membres de la famille PICOD y étaient ouvriers. Cheminée bien visible de la machine à vapeur.
Carte postale plus ancienne que la précédente, pas de cheminée, mais la roue du moulin est bien fonctionnelle.
L’intérieur de l’usine Charpillon, vers 1910, d’après une carte postale ancienne

Ouvriers de l’usine Charpillon vers 1910 avec mon grand père Camille qui porte une casquette et 4 ème homme en partant de la gauche, mon arrière grand mère Marie au premier plan (au milieu, jupe blanche et foulard noir au cou). Le patron, Edouard Charpillon (décédé en 1927) est aussi sur la photographie, serait au dernier rang en haut à gauche, moustaches et gilet clair (information qui m’a été donnée par son arrière petite fille en 2015!). Photo C. Huyghens d’après une photo de famille.N’hésitez pas à cliquer sur la photo pour voir les détails des personnages.

Ci-dessus: mon arrière grand père Fabien PICOD (personnage au fond avec un chapeau), ouvrier au Moulin d’Arinthod, détail.
  Clin d’œil aux ancêtres : dans mon atelier en 2019 ! photo Thomas Picod
Exceptionnel document d’un photographe amateur en juin 1913, montant le moulin en aval du pont, usines dites de « La Gadoix », on remarque une machine à vapeur mobile sous un abri en planches. Les ouvriers se tiennent devant le canal qui mène l’eau au moulin. La machine à vapeur était utile pendant les étiages de la Valouse. Au fond on distingue un bâtiment pour le logement des ouvriers. Cette carte est écrite au dos de la main d’Angèle Charpillon, fille d’Edouard, le patron des usines. Document transmis par son arrière petite fille et publié avec son aimable autorisation.
Carte postale ancienne colorisée, montrant le même site en aval du pont de la Valouse. Le bâtiment logement est bien reconnaissable en arrière plan à gauche. J’ai indiqué par une croix rouge l’emplacement de la machine à vapeur mobile de l’illustration précédente.
Détail ci-dessus de la machine à vapeur et des ouvriers. On remarque au pignon de l’atelier une poulie de transmission abritée par un petit auvent. C’est cette poulie qui était reliée par une courroie à la machine à vapeur.
Ci-dessus, carte postale des années 1950 , la maisonnette cachée par les arbres est le lieu où est né mon père Edmond en 1926. Cette petite demeure ouvrière est située en face de l’usine, rive droite de la Valouse.
Les spécialités de l’usine Charpillon: articles pour les filatures et accessoires pour l’électricité, d’après ce papier à en tête du moulin usine d’Arinthod en 1894. La famille Charpillon était originaire de Vescles (proche d’Arinthod) où ils possédaient déjà une usine de tournerie en 1870.
DÉTAIL DES PRODUITS FABRIQUÉS, AVEC DES NOMS BIEN ÉTRANGES AUJOURD’HUI !
Exceptionnelle et rare Carte postale de 1935, éditée par les frères Charpillon (Herman et Marc) qui montre les articles pour filatures (dont 5 bobines fuseau pour navettes, au milieu de la carte ) et articles pour l’électricité. Verso ci-dessous.
La carte postale était destinée à Charles de Buyer (1867-1937), probable fournisseur de pièces métalliques, Maître de forges, domicilié au Château de La Chaudeau, à Aillevilliers en Haute-Saône
Parmi les articles pour l’électricité: des douilles … en buis pour les ampoules ! Joli lot récupéré en 2014, juste avant sa destruction

La famille, les ancêtres fondateurs … 

Un ouvrier, mon arrière grand mère, sa fille Juliette, mon arrière grand père Fabien PICOD, leur belle fille Virginie épouse de Henri PICOD, Jules DAVID époux de Juliette PICOD devant les ateliers familiaux, rue de la Poyat à Arinthod, qu’ils viennent d’acquérir le 31 décembre 1929. Mon grand père Camille PICOD et son frère Henri viennent de fonder la Société « PICOD Frères ».
Jean Picod (1929-juillet 2020), fils d’Henri Picod devant une poivrière en buis tournée par Fabien Picod. Jean s’était spécialisé dans les articles souvenirs en bois dans son atelier à Arinthod puis à Perrigny dans les années 60. Photographié ici en 2014.
Jean Picod dans son atelier entre 1980 et 1990 environ, ci-dessus devant une cage à vernir et ci-dessous sur un réglage de tour. Il a inventé et fabriqué des centaines d’articles « souvenirs », la presse locale le qualifiait à juste titre d’artiste/tourneur. Documents aimablement comuniqués par ses fils.

En 1938, les loisirs familiaux …  

   Encore autour des usines au bord de la Valouse, mais pour une partie de pêche à la truite. Mon père, garçonnet avec le chapeau et un de ses oncles. On voit une partie de la haute cheminée en briques de la machine à vapeur au pignon des ateliers.

Après les truites, pêche aux écrevisses …

Ci-dessus, Camille à gauche et mon père au centre autour d’une pêche aux écrevisses en 1938. Mon grand père tient une canne avec une balance et sa récolte Les bords de la Valouse resteront pour mon grand père Camille un lieu de détente le dimanche jusqu’après ma naissance. Ci-dessous , un pique nique en 1953 où je suis dans les bras de mon grand père, avec mon père Edmond et ma grand mère Joséphine.

2018: 80 ans exactement après mon grand père, la pêche aux écrevisses dans la Valouse continue pour la famille Picod ! Michelle, mon petit fils Camille, moi, mon fils Thomas et ma petite fille Louise, une belle fin d’après midi d’été en août avec plus de 2 Kg. récoltées à la balance en 1 heure. Mais les écrevisses américaines ont pris la place des écrevisses autochtones.

L’atelier, les ateliers successifs …

En 1948, devant l’atelier familial au cœur d’Arinthod, mes parents au milieu , entre ma grand mère Joséphine à gauche et mon grand père Camille PICOD, à droite
Avec mon oncle Louis PICOD assis sur le rebord de la fenêtre
Mon grand père Camille, mon père et mon oncle Louis PICOD (futur tourneur de jeux d’échecs à Chancia) devant l’atelier familial à Arinthod en 1951. Avec le décès de Louis à 91 ans en novembre 2021, le dernier tourneur de la famille s’est éteint.
A l’intérieur de l’atelier la même année, mon grand père Camille qui utilise un chariot de perçage. Il faisait probablement un « étui à pharmacie » (boite en tilleul creusée et tournée). La mèche plate dégage les copeaux sur la droite de la photographie.

Une des productions traditionnelles de mon grand-père Camille: les canettes pour les  navettes des métiers à tisser lyonnais. Photo de la canette en position levée dans la navette et écheveau de soie. Navette échantillon datée du 12 juin 1949.

Vers 1960, les lettres de commerce de mon père mentionnent encore l’ancien propriétaire de l »atelier familial Jules David, tout comme les articles en os, articles souvenirs (qu’il ne fabriquait pas). Il s’agissait de montrer, avant tout, la polyvalence possible des fabrications, avec une forte référence aux productions traditionnelles plus anciennes.
Mon père Edmond PICOD, dans le même atelier en 1963, il tournait des pieds de table basse, sa grande spécialité à l’époque.
Mon père dans son nouvel atelier à Arinthod, ici en 1983
Mon père tournant un pied de table en 1983
Ci-dessus, tournage d’un jeu de solitaire en 1979

Ci-dessous, l’atelier familial d’Arinthod avant son démembrement en 2019. Trois tours sont alignés sur le grand banc de tour. Au fond un petit tour en bois pour l’affûtage des outils, le tour de mon père et celui de mon grand père Camille au premier plan (tour sur roulement à bille) .

Ci-dessus le tour de mon père Edmond qu’il a utilisé durant toute sa vie, un tour Lartaux de St-Claude, fin XIXe siècle. Grosse poulie en bois sur l’arbre pour tourner à vitesse plus lente. Contre pointe ou poupée mobile en bois à droite.

La passion continue, mais sous forme de loisirs ..

Et pour ma part, c’est dans l’ancien atelier de mon grand père qu’à l’âge de 7 ans mon père m’initiait au tournage du bois…

55 ans après je continue sur le même tour à bois ancien du XIX ème siècle
… et même sur un tour à pédale et à roue pour des démonstrations publiques ou le tournage expérimental de perles de chapelet en os
Un peu d’humour ne nuit pas à la « visite » de mon atelier (plaque émaillée ancienne)
En 2016, une connaissance bien transmise avec Camille sur un tour à archet, en démonstration à Nyon en Suisse. Un tournage sur os toujours délicat, qui demande patience et doigté !
Ma petite fille Louise se fait aussi une toupie sur mon tour ! il n’y a pas d’âge pour apprendre !

 6 générations plus tard ….Mon petit fils Camille PICOD, prend le même plaisir pour faire une toupie en buis

Né les pieds dans les copeaux et la tête dans les livres, il m’était devenu urgent de témoigner . « Les Tourneurs sur Bois », publié en 1991, aujourd’hui épuisé, fut l’aboutissement de dix années de recherches et le début d’une aventure qui continue encore. De colloques en expositions, d’expérimentations en publications spécialisées, l’histoire et la découverte du tournage n’en finit pas d’être contée.

Riche de contacts humains et de trouvailles insolites, ce blog est l’occasion unique de faire partager mes modestes découvertes … A vous de l’enrichir des vôtres !

« Lorsque, par goût et dans les loisirs d’une douce retraite, on veut s’adonner aux ouvrages des mains, pour se délasser de ceux de l’esprit, il semble que l’on devrait choisir l’Art du Tour »

LES BONUS : La maison du maître et la suite de l’histoire…

Pendant que les 70 ouvriers et leur famille vivaient dans le moulin le long de la Valouse, le propriétaire Théodore Charpillon créait à Arinthod, dans sa villa « bon accueil », La Banque Charpillon
Après le décès d’Edouard Charpillon en 1927, la crise de 1929 et les difficultés qui s’en suivirent, le domaine sera racheté 15 ans plus tard environ, par la ville de Lons-le-Saunier et transformé en colonie de vacances gérée par la Croix Rouge après guerre (à voir le panneau peint -côté est- devant la maison en agrandissant la carte postale).
Vers 1950, mon grand père Camille et sa femme Joséphine sont fiers de poser devant la maison du maître (côté ouest), juste revanche du petit ouvrier devenu un artisan respectable et respecté après des décennies de labeur.
Depuis cette belle et vaste demeure est devenue l’actuel collège Bichat d’Arinthod (photo: site Internet du collège Bichat).
Pour les curieux du patrimoine industriel, cliquez sur les usines de tournerie ci-dessus et vous serez redirigé vers la fiche « inventaire du patrimoine industriel » relatant les grandes étapes de l’histoire de ce moulin d’Arinthod sur la Valouse.

 En attendant, je continue la pêche aux écrevisses dans la Valouse, ci-dessous en août 2018

Et bien sûr, je continue de tourner .. à l’ancienne !

4 commentaires

  1. Harry Potter

    Trop classe de faire des toupies en bois de buis, j’adore ce bois.

  2. Revoir Jean, mon père, un être exceptionnel, et ce superbe reportage d’un cousin talentueux, Christophe, sur cette profession de tourneur sur bois, enracinée à Arinthod, et qui est l’âme des Picod, m’a profondément ému. Je pense aussi à ses collègues des villages voisins, Paget, Durafour, Futin… qui ont incarné cette si belle profession pendant des décennies.

  3. Bravo Christophe et merci pour ce moment de mémoire et d’identité

  4. Bonjour, mes grands parents Elise et Oscar Dousse habitait le moulin entre les années 30 et 50. Ma mère Denise était amie avec Henriette Picot et Emilienne Futin. Elle aurait été heureuse de partager ces souvenirs. Merci

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