Le tournage sur bois : l’enfance de l’art ou l’art dès mon enfance

Le début de l’histoire des tourneurs familiaux. Tout au fond de l’atelier des usines « Charpillon » du moulin d’Arinthod, mon arrière grand-père Fabien Picod (avec un chapeau) vers 1905/1910.
1948-1951: mon grand père Camille, ma grand mère Joséphine, mon père Edmond  et son jeune frère Louis qui posent devant les deux ateliers de la société « PICOD Frères »  au centre du village d’Arinthod.

Cet article a été publié dans la revue de l’AFTAB (association française des tourneurs d’art sur bois) en novembre 2024, avec moins d’illustrations.

Si je me remémore mes premiers souvenirs autour du tournage du bois, c’est à l’atelier familial jurassien d’Arinthod des années 1958/1960 que je pense et peut être même avant. Atelier situé au centre du village, rue de la Poyat actuelle. Je devais avoir 5 ou 6 ans… L’espace me paraissait immense, il n’y avait cependant que quelques pièces poussiéreuses hautes de plafond. L’une à l’entrée pour la rotative qui faisait un vacarme terrifiant, puis l’autre plus calme, grande pièce avec 3 tours mus par d’énormes poulies en bois au plafond. La scie circulaire était au fond de l’atelier. Une autre pièce plus obscure était la pièce pour les finitions où ma grand-mère passait de temps en temps pour relever les paniers de manches en bois des bains de teinture. Ils séchaient ensuite sur de grandes claies grillagées superposées comme des châlits.

Acte de vente des ateliers le 31 décembre 1929, par Juliette Picod,   veuve de Jules David au bénéfice de ses frères Camille Picod (mon grand père)   et Henri Picod, au nom de la Société PICOD Frères, rue de la Poyat à Arinthod.
Les deux ateliers achetés pour 8000 Fr (Équivalent à 4560 euros en 2024)

De cet endroit, outre le bruit ronronnant des courroies qui fouettaient l’air, c’était les odeurs   qui ont imprégné mon corps d’enfant en premier. Je rêvais et jouais avec ces sacs en toile de   jute remplis de petites perles en buis qui sentaient si bon et que je faisais glisser d’une main   à l’autre. D’autres objets en noyer à l’odeur suave caractéristique ou d’odeur de cire… Ah la   cire ! Les objets sortaient du polissoir du grenier. Celui-ci était sorte de gros tonneau   horizontal rempli d’une centaines d’objets tournés et de blocs de cire dure. Le frottement des   pièces entre elles -des petits manches le plus souvent- pendant plus d’une heure évitait un   polissage manuel. Le polissoir tournait en faisant un vacarme assourdissant pour mes   jeunes oreilles. Mon père me recommandait de faire très attention à la courroie qui sortait   du plancher pour s’enrouler sur le polissoir. Il n’aurait pas fallu que mes habits se prennent   dedans. Je dois dire que tout cela créait l’ambiance de l’ancien atelier familial acquis par mes  grands parents et leur fratrie en 1929 sous l’appellation « Picod frères » et que j’ai   connu jusqu’à mes dix ans environ. L’acte de vente des ateliers le 31 décembre 1929, stipule    que la vendeuse n’était autre que Juliette Picod, veuve de Jules David au bénéfice de ses   frères Camille Picod (mon grand père) et Henri Picod, au nom de la Société PICOD Frères.   Avant 1929 Jules David possédait donc ces ateliers de tournerie acquis en 1888. Puis mon   père a pris son indépendance d’artisan avec un nouvel atelier flambant neuf mais avec des   tours plus que centenaires, atelier de plus de 150 m² construit à la sortie d’Arinthod au   « Faubourg » à côté de la maison « neuve» construite quelques années plus tôt.

L’atelier « neuf » avant son démembrement en 2021,  banc des tours, au centre le tour « Lartaud » (1880) de mon père  et la scie circulaire. Outillage déménagé de l’ancien atelier en 1963.

Mais avant cela, je jouais dans ce vieil atelier, mes premiers jouets étaient les restes de sciage, petits cubes en bois brut… Les « vrais » jouets étaient rares et mes premiers étaient en bois tourné. Je me souviens précisément, je devais avoir 5 ou 6 ans, ma grand-mère Joséphine était allée visiter son frère à Genod, village voisin d’une quinzaine de kilomètres. Nulle voiture dans la famille, on avait pris le petit bus qui reliait les villages du canton pour aller voir l’oncle Edouard David dit « Zimic » retraité de la gendarmerie qui avait installé un petit atelier de tournerie dans sa maison pour améliorer sa pension. Lors de cette visite, il m’avait fabriqué une toupie avec lanceur. J’étais émerveillé par ce manche et la ficelle qui permettait de lancer sans faille la toupie en bois. Je jouais parfois sous les tours le nez dans les copeaux avec des pièces mal façonnées ou cassées, petit garçon j’imitais les gestes paternels. Je ne sais pas à quel âge, mais je sais que c’était très tôt , mon père avait positionné une caisse pour me hisser à la hauteur du tour et m’avait initié aux premiers gestes qui me reviennent en tête avec une précision inouïe.

Mon père dans l’ancien atelier vers 1960

Son tour était à ma gauche et il surveillait mes gestes d’un œil attentif, j’étais face aux  grandes vitres de l’atelier, mon grand-père Camille à l’arrière sur son tour lui aussi, où avec  un chariot de perçage il usinait des boîtes cylindriques en tilleul… Je tournais de petites  quilles en hêtre d’une dizaine de centimètres que j’adorais faire. Des petites séries qui me  fascinaient déjà et que j’alignais devant le tour. A l’école communale du village, je vendais  des lots de 9 quilles à mes camarades de CM2 pour quelques dizaines de centimes. Je me  sentais grand avec mon petit commerce… Parfois des camarades d’école venait me voir  tourner derrière les vitres de l’atelier qui donnaient sur la rue. Et c’est non sans fierté et du  plus sérieux du monde, qu’avec application, je reproduisais les gestes de mon père devant  leurs yeux incrédules.Je crois avoir délaissé ensuite pendant quelques années la tournerie,  sauf pour faire parfois des petits objets, histoire de perfectionner mes gestes et de ne pas  perdre la main. Je dois dire que l’autre atelier de mon grand-père maternel italien Thomas  Miana n’était pas moins fascinant. Facteur et chaisier, il exécutait de main de maître la  fabrication d’une chaise, de la bille de cerisier au rempaillage. Le travail du bois ne pouvait  pas m’échapper dans l’un et l’autre atelier.

Les années 1960 entouré par mon grand père maternel Thomas Miana devant  son atelier de chaisier et mon grand père paternel Camille Picod

Et comme me disait mon père lors de mes années lycée à Lons-le-Saunier, où mes résultats  scolaires étaient très moyens : « si tu ne réussis pas tes études tu viendras travailler à  l’atelier ». Injonction intimidante et perspective pas très réjouissante à l’adolescence ! Pour  moi, mon père travaillait sans relâche comme une machine à produire des milliers d’objets  en bois usuels sans reconnaissance bien particulière. Parfois il travaillait sur une commande  spécifique d’un architecte, une pièce exceptionnelle… Mais ce n’était pas son ordinaire pour  faire vivre modestement sa famille. Je n’ai cependant pas tourné le dos à l’atelier si on peut  dire. A 20 ans je fabriquais un rouet complet en beau merisier qui sent si bon quand on le  tourne et si tendre sous la coupe de l’outil… Seuls les tourneurs peuvent comprendre ce petit  plaisir de travailler un bois au grain fin comme les fruitiers et le buis bien sûr…Les études  faites à Besançon, un autre métier (éducateur) , le mariage, les enfants… La vie quoi, m’ont  éloigné du métier qui était l’atavisme de la famille Picod depuis des générations. Mais rien  de rare ni d’exceptionnel dans le Jura.Avec la mort de mes grands parents, la disparition du  vieil atelier familial vendu une bouchée de pain pour devenir garage dans le village était un  crève cœur pour mes souvenirs d’enfant. Je remarquais que les autres tourneurs  disparaissaient progressivement, que les jouets en plastique supplantaient le bois, les crises  des années 70 et la concurrence asiatique portaient un coup fatal à l’artisanat…Tout cela  m’a amené à diverses réflexions : comment rendre hommage à ce travail fastidieux où mes  grands parents et parents gagnaient juste leur vie, où comment après le baccalauréat je  devais financer seul mes études… Comment témoigner de ce labeur peu lucratif mais aux  gestes si beaux ? Pourtant mon père n’a jamais fabriqué d’objets rarissimes comme on peut  les voir dans certaines expositions de tourneurs d’art. Lui, c’était des grandes séries de pieds  de meubles, manches ou autres… Mais la gestuelle était belle, esthétique parfois quand le  copeau de buis filait comme un ruban par dessus l’épaule du tourneur. Parfois il se faisait  plaisir, sortait un échantillon commercial avec plus ou moins de succès et faisait quelques  bricoles utiles pour le ménage ou de magnifiques balustres d’escalier pour ses enfants.

Une idée de l’autoportrait, poupée en bois réalisée par mon père Edmond vers 1980

Nous sommes à ce moment de mon existence dans les années 80, la mode revient à  l’artisanat, les livres sortent sur les vieux métiers manuels, « faites tout vous même »… la  société de consommation était en crise. Et si j’écrivais un livre sur ce métier ? Faute de le  pratiquer en professionnel ? Dans la famille on a doucement sourit sur ce projet un peu hors  les murs. Je crois l’avoir fait plutôt discrètement avec le plaisir caché de présenter plus tard  un livre témoignage. Je voulais faire un beau livre, pas un fascicule technique que j’aurais  eu du mal à écrire, pas une recherche austère non plus… Un livre dont ma famille serait  fière.Pas moins de 10 ans de recherches à petits pas, d’éditeurs en refus, de refus en reprise  du manuscrit, m’ont amené à publier « Les tourneurs sur bois » en 1991. Livre pour lequel  j’ai reçu le Prix du livre comtois en 1992. Une autre aventure s’est ouverte à ce moment là,  dont je n’aurais jamais soupçonné là où elle allait me mener …Le lecteur pourra découvrir  la suite de l’histoire en parcourant mon blog écrit et mis à jour régulièrement depuis ce  moment là.

Trois générations de tourneurs avec quelques objets emblématiques. Au fond à gauche, fabriqués par mon grand père Camille vers 1930: articles pour l’électricité, boites et canette dans sa navette de tissage. La poupée réalisée par mon père. A droite la célèbre fusée tournée et laquée par mes soins vers 1990.

Nostalgie de mon enfance avec mes premiers jouets d’imitation (ci-dessous), le manche du marteau est encore annoté  par mon père juste avant son décès en 2002, lorsqu’il rangeait la maison  « le 1er outil de ta petite enfance encore tout neuf ».

Remarque technique sur la rotative citée au début du texte : La rotative jurassienne est une sorte de tour automatisé très compact, son axe, cylindre en   acier de 25 cm de diamètre et un peu plus en longueur comporte 4 grosses lames profilées   qui reproduit le modèle à tourner. Ce cylindre tourne extrêmement vite tandis que le   tourneur avec un levier présente progressivement l’ébauchon qui lui, tourne en sens inverse.   Le vacarme des grosses rotatives ont un bruit caractéristique qui s’entend de loin ! Les   rotatives ont grandement facilité le travail du tournage surtout sur des objets peu complexes   : profils simples, manches, petits balustres etc… De plus petites rotatives, comme mon   oncle Louis Picod les utilisait dans le village de Chancia, pour faire certaines pièces de jeu   d’échecs en buis.

Remarque technique sur la rotative citée au début du texte

La rotative de l’atelier équipée de fers (profil hémisphérique visible) pour tourner des boules.

La rotative jurassienne est une sorte de tour automatisé très compact, son axe, cylindre en acier de 25 cm de diamètre et un peu plus en longueur comporte 4 grosses lames profilées qui reproduit le modèle à tourner. Ce cylindre tourne extrêmement vite tandis que le tourneur avec un levier présente progressivement l’ébauchon qui lui, tourne en sens inverse. Le vacarme des grosses rotatives ont un bruit caractéristique qui s’entend de loin ! Les rotatives ont grandement facilité le travail du tournage surtout sur des objets peu complexes : profils simples, manches, petits balustres etc… De plus petites rotatives, comme mon oncle Louis Picod les utilisait dans le village de Chancia, pour faire certaines pièces de jeu d’échecs en buis.

3 commentaires

  1. Quel bel article à nouveau Christophe ! De beaux souvenirs et de précieux documents que vous offrez à la postérité et à votre région. À vos côtés, j’ai eu la chance d’en apprendre beaucoup sur la tournerie dans le Jura. Ce blog est un outil important dans la sauvegarde du patrimoine.

  2. isabelle Beulaigne

    Cher Christophe

    Mais quel travail ce site !!!
    Tout est magnifique ! Emerveillee par la poupée qui marche …!
    Ton histoire. ,ton parcours ,les photos ….
    Je te ,vous ,félicite…et je vais me faire un plaisir de le diffuser largement ….
    Bonne continuation et longue vie à toi pour réaliser d’autres prouesses !

    • Merci Isabelle !
      Premier commentaire.. je découvre aussi des applications de ce nouveau site, l’ancien n’était pas du tout pratique. Là tout est actualisé et bien propre. Merci encore et tant qu’on peut on va continuer tout ça .. et transmettre aux jeunes !

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