Le tour à bois du père Noël

Art et artisanat populaire : La décoration des jouets en bois dans le Jura de 1890 aux années 1950, et particulièrement à Moirans en Montagne, cité du jouet.

Quille en bois, montée sur un petit tour ou touret de rubaneuse. Les rubaneuses étaient les femmes de la région de Moirans en Montagne qui effectuaient exclusivement ce décor de « rubans » de couleur sur les jouets. Travail fait le plus souvent à domicile, peu payé, et qui n’apportait qu’un salaire d’appoint. Parfois c’est l’épouse du tourneur sur bois qui était chargée de ces finitions.
Etat d’origine du tour acheté chez un ami brocanteur du Haut Jura. Encrassé, pièces manquantes ou cassées, croisillons raidisseurs en diagonale vermoulus sous le bâti à remplacer… ce rare petit tour méritait une restauration correcte.

Ce petit tour est actionné par une pédale et une roue en bois. La roue provient d’un ancien rouet de fileuse de laine, activité qui a disparue à la fin du XIX ème et début du XX ème siècle. Certains tours tardifs de rubaneuse sont faits à partir d’anciennes machines à coudre à pédale en fonte. Seul le mécanisme de la roue et pédale sont conservés bien entendu.

Le touret a deux poulies pour des vitesses différentes et une pointe. La poupée mobile ou contrepointe est manquante. Remarquez à l’avant, une petite boîte destinée à poser les pots de peinture. Curieusement, comme les petits tours pour tourner l’os dans le Jura, le tour est positionné à droite de l’artisan, contrairement aux tours à bois usuels, placés à gauche de l’artisan. Sans jamais avoir trouvé aucune explication -tant textuelle qu’auprès des anciens artisans- , j’émets l’hypothèse que c’est peut être un reste de tradition gestuelle issue du tournage à l’archet.
Le touret restauré, avec sa poupée mobile en bois neuf, qui soutient l’extrémité gauche de la quille. La poupée mobile coulisse simplement dans un rail creux.
Les couleurs usuelles apparaissent après le nettoyage : bleu, parfois blanc et rouge ! les peintures sont en réalité le plus souvent des vernis à l’alcool colorés. Ils laissent une belle transparence et surtout sèchent extrêmement rapidement. Détail technique: la pointe du tour est de section carrée pour donner le mouvement rotatif à la quille.
Mise en situation avec quelques jouets rubanés traditionnels.

Détail de la roue du rouet et sa pédale d’origine sous le bâti. Des petites pièces décoratives entre les rayons de la roue ont été refaites pour remplacer les manquantes. Roue, tige de transmission et pédale sont les pièces ré-utilisées du rouet de la fileuse de laine. Une ingéniosité utile qui nécessitait peu d’investissement financier pour l’activité de la rubaneuse. Léger, pratique, peu encombrant (90 x 60 cm) il pouvait s’installer dans n’importe quelle pièce de la maison ou coin de l’atelier.

Ci-dessus et ci-dessous: quelques détails du touret. Bel objet populaire sur lequel des femmes ont travaillé des milliers d’heures pour une rémunération souvent dérisoire.

Ci-dessus quelques détails du touret.  Bel objet populaire sur lequel des femmes ont travaillé des milliers d’heures pour une rémunération souvent dérisoire.

Une page extraite de mon livre « Les tourneurs sur bois » -1991- consacré entre autres, au jouet en bois jurassien. Pour l’ouvrage -aujourd’hui épuisé- voir « Ma bibliographie » dans les archives du blog. Clichés Claude Huyghens.
Touret de rubaneuse de la collection du Musée du Jouet de Moirans en Montagne. Pour les besoins de la photographie, le petit sifflet est tenu horizontalement par une petite broche métallique. C’est sur ce type de broche que pouvaient s’enfiler des objets creux ou percés.
Extrait de l’exceptionnelle page colorisée du catalogue de la Maison Job en 1893 : différents objets rubanés dont les sifflets. Coll. privée.
Au fond, l’usine Dominique Job à Villards d’Héria, village tout proche de Moirans en Montagne. Carte postale ancienne vers 1900. Usine que l’on retrouve imprimée sur les factures d’époque. Dominique Job avait également un atelier à Moirans en Montagne.
Rarissime document : brevet d’invention déposé en septembre 1903 par Louis Maxime Forestier, industriel de Moirans en Montagne concernant l’amélioration d’une toupie en bois. Document retrouvé avec une toupie de même principe: la poignée n’est pas solidaire du corps de la toupie, mais tourne autour d’un axe vertical métallique. Coll. privée.
Détail de la toupie rubanée.
Malgré les centaines de documents que j’ai pu étudier, je n’ai retrouvé que trois fois la mention des jouets rubanés. Ici sur une facture des établissements Pierre Dalloz, de Saint Claude en 1950, mention des trompettes « rubannées » de 80 mm. à 25 anciens francs la douzaine… soit 0,65 € -inflation comprise- en janvier 2018 ! Nous ne serions pas loin des prix de gros en Chine aujourd’hui … La même dénomination existe pour des articles identiques, fabriqués à Moirans en Montagne,dans les catalogues Job de 1893 et Grandmottet et Cordier en 1931.
Petites trompettes rubanées avec sifflet intérieur métallique à anche, longues de 80 mm. Serait-ce les mêmes décrites dans la facture précédente ?

Sifflets, toupies, quilles, trompettes … artisanat populaire pour des jouets traditionnels bon marché destinés à un large public. Jeux de quilles miniatures fabriqués au village de Meussia près de Moirans en Montagne.

Toupie rubanée échantillon, remarquable par la mention « pt d Paris » qui est la dénomination de cette forme de pointe métallique particulière. Les échantillons, dans les tourneries, étaient souvent annotés de dimensions, calibres ou nombres, détails de fabrication… etc, comme c’est le cas ici.
Ci-dessus, incroyable lot de 700 pointes de toupies métalliques brutes. Pointes dites « à boule » et « de Paris » mélangées. Achetées en 2016 sur un site de vente en ligne, provenant du village de La Mouille dans le Haut-Jura où elles auraient été forgées au début du XXème siècle !
Au hasard de mes trouvailles, quelques jolis jouets rubanés. Trompettes laquées décorées de filets rubanés dorés et de quelques décalcomanies, fabriquées dans la région d’Arinthod vers 1950/1960. La trompette bleue est encore dans son emballage d’origine en cellophne.

Et pour conclure: de l’atelier au grenier, du grenier à la poubelle…

Sac de sucre industriel (marquage au dos) recyclé en sac pour les expéditions de la tournerie Lavenna et quelques jouets rubanés incomplets, vermoulus, déchets dans un grenier d’une ancienne tournerie d’Arinthod… triste fin pour un artisanat disparu.

Enigme grammaticale ? 
L’usage jurassien veut que rubanneuse et rubanné s’écrivent avec deux « n », la grammaire n’en retiendrait logiquement qu’un seul, sauf enrubanné qui n’a pas le même sens. 
Quant à notre rubaneuse ou rubanneuse elle n’existe même pas dans le dictionnaire !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *